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La scène se déroule fin janvier. A deux pas des Champs- Elysées, Silvio Berlusconi et son fils Pier Silvio ont rendez- vous chez Vivendi. Ils doivent déjeuner avec Vincent Bolloré et son fils Yannick. L’ancien président du conseil italien et l’industriel breton se connaissent depuis une quinzaine d’années. Leurs enfants, eux, se rencontrent pour la première fois. Au menu de la conversation : les liens que pourraient tisser leurs deux empires des médias, Vivendi et Mediaset.
Attablé à leurs côtés, Tarak Ben Ammar, un vieux compagnon de route. Quelques semaines plus tard, le même accompagne à Milan Yannick Bolloré – propulsé président d’Havas en 2013 – voir Pier Silvio Berlusconi, directeur général de Mediaset. Après trois mois d’échanges, Mediaset et Vivendi, qui tiendra son assemblée générale le 21 avril, s’accordent pour créer ensemble un « Netflix européen ». Vincent Bolloré et Silvio Berlusconi prennent 3,5 % du capital du groupe de l’autre.
Comme toujours, Tarak Ben Ammar a joué les entremetteurs. A 66 ans, ce producteur franco- tunisien, à l’origine du film La Passion du Christ, connaît Berlusconi depuis trois décennies et Bolloré depuis quinze ans. « La Tunisie a créé le dialogue entre la France et l’Italie », sourit- il depuis son bureau du 16e arrondissement de Paris qui borde sa maison, située dans la riche Villa Montmorency, où il a pour voisins les Bolloré ou Carla Bruni.
Vincent Bolloré, Silvio Berlusconi, mais aussi Rupert Murdoch, le prince saoudien Al Walid ou le milliardaire égyptien Naguib Sawiris : le monde de Tarak Ben Ammar tourne autour des puissants. Producteur de cinéma, intermédiaire en affaires ou même un temps agent de Michael Jackson, son parcours atypique intrigue. Qui est Tarak Ben Ammar ? Quel rôle joue- t-il auprès des magnats au cuir et au carnet d’adresses si épais ?
L’homme à l’indiscutable bagout est intarissable sur son enfance tunisienne. Neveu de la deuxième épouse du président Bourguiba, il a vu dans les palais de Tunis « défiler la plupart des chefs d’Etat arabes ». Parti très tôt à Rome, où son père est nommé ambassadeur, il apprend l’italien, puis l’anglais et l’allemand. Mais à la diplomatie, il préfère le cinéma. « Citoyen du monde », musulman « modéré », il montre les photos de son récent pèlerinage à la Mecque. Dans sa chambre d’hôtel, une chaîne arabe diffusait Jésus de Nazareth, un film de Franco Zeffirelli, qu’il a produit en 1977. « J’y ai vu un message de tolérance », raconte-t-il.
Un appétit insatiable
Son regard indulgent sur le royaume des Saoud n’est pas fortuit : le prince Al Walid, un ami de la famille qu’il rencontre au début des années 90 sur la Côte d’Azur, est une pièce maîtresse de son parcours. « Je lui ai suggéré d’investir dans les médias », raconte Ben Ammar. Convaincu, Al Walid prend des parts chez Murdoch et dans Mediaset, prouvant à Silvio Berlusconi que le petit producteur tunisien peut se muer en « banquier d’affaires ». Au moment de démarrer sa carrière politique et d’introduire en Bourse son groupe de médias, le Cavaliere nommera son ami administrateur.
Au départ, la rencontre entre les deux hommes est à l’image des années 80, légères et clinquantes. Le producteur s’est fait une réputation en accueillant à Hammamet des tournages, comme celui de La Guerre des étoiles. En 1983, Silvio Berlusconi, homme d’affaires en devenir, fait un détour par ses studios, où Roman Polanski tourne Pirates. Le soir, Tarak Ben Ammar se rend à un dîner d’Etat, accompagné de l’acteur Aldo Maccione et de jolies jeunes femmes, qui accrochent l’œil du futur président de la Cinq. Le lendemain, M. Berlusconi met un point d’honneur à monter lui aussi une fête, où paradent des starlettes qu’il a fait venir d’Italie dans son avion. Les deux hommes sont faits pour se comprendre.
Mais c’est en 1998 que leur relation se mue en amitié indéfectible. M. Berlusconi est alors accusé d’avoir financé illégalement le socialiste Bettino Craxi, ancien président du conseil. Le producteur tunisien témoigne en faveur des deux hommes. « Craxi était un ami de ma famille en Tunisie et aussi un fervent défenseur de la cause palestinienne, comme ma famille. Il nous a demandé, à Berlusconi et à moi, d’aider financièrement les Palestiniens. Berlusconi a refusé mais m’a donné des mandats de distribution de films et dit de faire ce que je voulais avec l’argent de ces commissions. Je l’ai versé à l’OLP », raconte M. Ben Ammar. Cela n’empêchera pas les juges de condamner M. Berlusconi en première instance, avant que l’affaire ne soit finalement prescrite.
L’ombre de « Silvio » plane aussi sur sa rencontre avec Vincent Bolloré. M. Ben Ammar croise l’homme d’affaires breton en 2001, à une projection parisienne de Femme fatale, un film de Brian de Palma qu’il produit. Le tycoon breton vient de récupérer 1% de Mediobanca, la banque d’affaires italienne. M. Bolloré veut réinstaller son mentor Antoine Bernheim à la tête de l’assureur Generali, dont Mediobanca est le principal actionnaire. Mais pour cela, il a besoin de la bénédiction du président du Conseil, Silvio Berlusconi.M. Ben Ammar monte une rencontre entre les deux hommes... et l’affaire est conclue. En échange, l’entremetteur se retrouve administrateur de Mediobanca, puis de Telecom Italia. Ces postes seront très appréciables quand, des années plus tard, Vincent Bolloré, devenu maître à bord de Vivendi, deviendra le premier actionnaire de Telecom Italia. M. Ben Ammar a également été nommé administrateur de Vivendi en 2015.
Insatiable, l’homme ne compte pas s’arrêter là. Après avoir aidé au mariage entre Vivendi et Mediaset, Tarak Ben Ammar imagine aujourd’hui associer Rupert Murdoch au projet de « Netflix d’Europe latine », ce qui a le don d’énerver ses détracteurs. « Ben Ammar se survend. En France, il ne cesse de dire qu’il faut passer par lui pour entrer en Italie. Et inversement », dit un ennemi croisé chez Canal+, époque Lescure. « C’est un charmeur. Il sait flatter. C’est un bluffeur, même s’il a de vrais atouts », estime une connaissance italienne.
Ambiguïtés
« Si je n’étais pas vendeur, je serais encore régisseur en Tunisie, dans une Fiat 125, rétorque le Méditerranéen. Mais j’ai beau avoir la tchatche, vous croyez qu’on peut piéger Berlusconi, Bolloré ou Murdoch avec une danse du ventre ? » Le diplomate a théorisé ses atouts aux yeux des puissants: «Je suis souvent le seul non-européen ou non-anglo-saxon dans leur entourage», pointe-t-il. Il aime aussi penser que ses années d’amitié avec «Silvio», « Vincent » ou « Rupert » lui permettent de leur dire « certaines choses ». « Ben Ammar balance des choses que les puissants n’osent pas forcément se dire en face », confirme un ancien de TF1.
« Chez Vivendi, il apporte sa connaissance du monde des médias et a une vision intéressante sur le futur », apprécie Claude Bébéar, l’ex-patron d’Axa, proche de Bolloré et membre du conseil de surveillance du conglomérat. Le go-between tient à préciser qu’il n’est pas rémunéré pour son rôle de conseiller. Il se pose en entrepreneur qui bénéficie indirectement des avancées de ses mentors : son groupe audiovisuel Prima TV, qui détient des fréquences et distribue des films en Italie, est en affaires avec Mediaset et Sky, le bouquet de Murdoch. Au total, Prima TV revendique un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros, pour 30 millions de résultat brut d’exploitation.
En France, M. Ben Ammar dit vouloir lancer une version de Nessma, sa chaîne tunisienne opposée aux « intégristes », avec Vincent Bolloré. Il va aussi co-produire avec StudioCanal une série réalisée par Jean-Jacques Annaud, à partir du best-seller La vérité sur l’affaire Harry Québert. Il compte aussi se faire une place dans la future activité de production de Vivendi. Ces projets lui permettraient de rattraper l’échec de son aventure dans les industries techniques du cinéma français : M. Ben Ammar attend encore le résultat de sa plainte pour escroquerie et abus de confiance contre Technicolor, qu’il accuse d’avoir poussé sa société Quinta industries (laboratoires Eclair, Duran-Duboi...) à la liquidation, pour reprendre à vil prix ses actifs. Il possède aussi 25 % de la Cité du cinéma de Luc Besson, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Quand certains soulignent l’ambiguïté de son rôle lorsqu’il se retrouve pour une même affaire conseiller de deux parties, comme Mediaset et Vivendi, M. Ben Ammar met en avant le caractère exceptionnel des affaires conclues: «Ce sont des personnages et des deals inhabituels, possibles seulement si l’un ne prend pas le pas sur l’autre. » Lui préfère d’ailleurs parler de « capitalisme de famille ». Pour rester sur l’album photo, il a une technique : l’homme d’affaires ne tarit pas d’éloges sur Pier Silvio Berlusconi, qu’il connaît depuis l’enfance, et aime rappeler que Yannick Bolloré a commencé sa carrière comme producteur de cinéma au côté de Wassim Beji. L’un de ses propres neveux.
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