lundi 26 octobre 2020

Le continent africain pleure ses touristes

 Les arrivées de voyageurs internationaux ont chuté de 57 % au premier semestre

Depuis six mois, Marcel Diouf se répète brave­ ment la même phrase. «Ça va aller, Inch’Al­lah. L’hôtelier sénégalais refuse de céder au catastrophisme, quand bien même son auberge si­tuée à Mbodiène, sur la Petite­ Côte à 100 km au sud de Dakar, reste désespérément vide. Tous les matins, le personnel ouvre les onze chambres, nettoie la cour, entretient la piscine. « Puis on se connecte sur Internet mais il n’y a aucune réservation, pas même de nos clients traditionnels de France et du Canada. La saison haute est pourtant censée commencer en octobre », raconte M. Diouf, qui avoue peiner de plus en plus à ver­ser le salaire de ses sept employés.

Les vols internationaux ont beau avoir repris mi-­juillet au Sé­négal, les touristes continuent de se tenir à distance, échaudés par l’évolution imprévisible de la pandémie de Covid­19 à travers la planète. Le pays connaît les mê­mes déboires que ses pairs afri­cains. Du Maroc à l’Afrique du Sud, du Cap­Vert à l’Ethiopie, le tourisme a connu un coup d’arrêt brutal et prolongé sur l’ensemble du continent. Selon le Conseil mondial du voyage et du tou­risme (WTTC), la crise du secteur pourrait entraîner la destruction de 7 millions à 17 millions d’em­plois sur l’année 2020, dans une région du monde déjà frappée par un chômage très élevé.

Au premier semestre, les arri­vées de voyageurs internatio­naux en Afrique ont chuté de 57 %, selon l’Organisation mon­diale du tourisme (OMT). Et la dé­bâcle est loin d’être terminée : dé­but septembre, la moitié des des­tinations africaines n’avaient tou­ jours pas rouvert leurs frontières. « L’industrie a été décimée », s’af­flige Naledi Khabo, la directrice de l’Association du tourisme afri­cain, une agence de promotion du continent basée aux Etats­Unis : « La banqueroute menace de nom­breuses PME qui constituent l’es­sentiel des acteurs du secteur. Elles n’ont pas les fonds pour faire face et doivent souvent se débrouiller sans aides publiques. »

Un souvenir traumatisant

Le constat est d’autant plus amer que l’Afrique était, avant la pandé­mie, de plus en plus demandée par les touristes internationaux. Les arrivées étaient en forte hausse (+ 6 % en 2019). Le secteur repré­sente aujourd’hui 10 % des recet­tes d’exportation du continent (contre à peine 5 % dans les années 1980), et plus d’un emploi sur cinq dans certains pays comme le Cap­ Vert ou l’île Maurice.

« La dynamique était excellente et tout s’est arrêté d’un coup », ré­sume Sisa Ntshona, le patron de la Fédération du tourisme en Afri­que du Sud : « C’est particulière­ment regrettable pour une écono­mie comme la nôtre, qui essaie de se diversifier dans les services pour moins dépendre des matières pre­mières. » Le professionnel garde un souvenir traumatisant du pre­mier coup de semonce : l’annula­tion, en janvier, d’un congrès in­ternational sur l’ophtalmologie censé se tenir en juin au Cap. L’événement, en préparation de­puis cinq ans, devait accueillir 15 000 participants venus du monde entier. Soit 15 000 billets d’avion, 15 000 chambres d’hôtel et tous les à­ côtés.

L’Afrique du Sud, qui rouvrira ses frontières le 1er octobre après avoir été durement touchée par l’épidémie due au coronavirus, pleure ce tourisme de conférence dont elle était l’un des piliers continentaux. Elle s’interroge aussi sur l’avenir des safaris proposés aux amoureux de la faune sau­vage dans les réserves du pays. « Rien ne permet de penser que les clients types – des Occidentaux fortunés et en général un peu âgés – vont se précipiter pour revenir tant que la situation sanitaire ne sera pas complètement sous con­trôle », indique M. Ntshona.

Les animaux sauvages consti­tuent la principale attraction du continent et drainent près de 80 % des voyages touristiques en Afri­que, selon l’OMT. La désaffection des visiteurs a des effets en chaîne. Au Kenya, dans le sanctuaire de Mara Naboisho, à proximité de la réserve nationale du Masai Mara, la fermeture d’entreprises locales liées au tourisme a amputé les moyens de subsistance de plus de 600 familles masai. La protection de la faune risque d’en pâtir égale­ment, le tourisme fournissant souvent l’essentiel du budget des organismes publics de gestion des parcs nationaux, comme le Kenya Wildlife Service.

Des atouts pour rebondir

Le redémarrage du secteur s’an­nonce long et chaotique. Il pour­rait nécessiter deux à quatre ans en fonction de l’évolution de la pandémie et de l’état des frontiè­res, prédit Elcia Grandcourt, la di­rectrice du département Afrique de l’OMT. En attendant, estime­t­ elle, la crise devrait être l’opportu­nité d’impulser des changements. En s’interrogeant notamment sur l’ultra­dépendance de cette indus­trie vis ­à­ vis de certains clients, blancs, européens et nord­ améri­cains. « Les pays africains réalisent que l’accent n’a pas été assez mis sur les touristes locaux et régio­naux. Certains ont désormais un vrai pouvoir d’achat », insiste Mme Grandcourt. Les attirer néces­site de développer le transport in­trarégional, encore embryonnaire, et d’ajuster les prix.

Aucun professionnel ne croit que cette clientèle puisse com­penser l’absence des Occiden­taux pour des prestations telles que les safaris, ces voyages de luxe qui peuvent coûter des cen­taines, voire des milliers d’euros la journée. « Mais l’idée n’est pas de remplacer les touristes tradi­tionnels. Il s’agit plutôt de conqué­rir de nouveaux marchés encore trop peu exploités : la classe moyenne africaine, la diaspora afro­américaine, les pays émer­gents d’Asie », énumère Naledi Khabo, de l’Association du tou­risme africain. A l’en croire, l’Afri­que a des atouts pour rebondir : « Dans le contexte de l’épidémie, certains voyageurs avides de re­partir vont rechercher la nature et les grands espaces, ce que l’on trouve sans peine sur le conti­nent. » Un avis que partage Jean­ François Rial, patron du groupe Voyageurs du monde, qui affirme vendre « chaque semaine » des voyages pour la Tanzanie.

L’Afrique peut aussi se targuer d’avoir globalement résisté mieux que d’autres parties du monde à la propagation du coronavirus. A l’exception de quelques pays, comme l’Afrique du Sud, la région a limité les dégâts sur le plan sani­taire : au 25 septembre, elle comp­tait officiellement 35 000 décès pour 1,2 milliard d’habitants. Se­lon M. Rial, « quand le tourisme mondial repartira enfin, c’est un ar­gument que les Africains pourront mettre en avant ». 

dimanche 5 juillet 2020

La saga Elloumi

Le champion tunisien de l’export, qui a conquis le monde avec ses câbles automobiles, s’est diversifié dans l’agroalimentaire en utilisant les mêmes recettes: vision, savoir-faire et discrétion.

Coficab Tunisie
L'usine de Coficab

Quiconque a déjà effectué un freinage d’urgence peut probablement remercier le groupe tunisien Elloumi pour la qualité de ses produits. Son vaisseau amiral, Coficab, qui emploie 4 500 salariés, est le numéro deux mondial de la câblerie automobile, avec plus de 15 % de part de marché, dont 45 % en Europe. En 2016, il réalisait un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros exclusivement grâce à ses exportations. Un succès rare à l’échelle du continent: « Si le pays arrive, malgré ses difficultés économiques, à exporter pour 10 milliards d’euros, c’est grâce à des capitaines d’industrie comme la famille Elloumi », se félicite Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie (2004-2011).

Success-story

Au lendemain de son indépendance, en 1956, la Tunisie cherche à se moderniser. Taoufik Elloumi, petit entrepreneur de Sfax qui s’est lancé dix ans plus tôt, y voit immédiatement une opportunité et devient l’un des plus importants fournisseurs de câbles de la Steg, la société nationale de l’électricité. La réussite déjà patente devient une véritable success-story à la fin des années 1980, lorsque ses fils Faouzi et Hichem, respectivement centralien et polytechnicien, et ses filles Selma et Aouatef, jugeant le marché tunisien trop étroit pour leurs ambitions, font le pari de l’exportation en fournissant le sous-traitant automobile américain Delphi Corporation. « À cette époque, tout était réuni pour se développer en Tunisie. Les multinationales y accéléraient la délocalisation de leurs usines : la loi 72 leur accordait des exonérations fiscales, tandis que la main-d’œuvre y était bon marché et plutôt qualifiée », détaille Hatem Essoussi, directeur de la Promotion des secteurs à technologie évoluée au sein de l’Agence de promotion des investissements étrangers (Fipa).

Rapidement, les deux héritiers identifient d’autres produits à fort potentiel et créent une entreprise pour chaque production : Coficab pour le câble automobile, Cofat pour les systèmes électriques dans les véhicules et Chakira pour le câble électrique et de téléphonie. Fort du savoir-faire unique acquis auprès de l’américain Delphi, le groupe décide de s’implanter au plus près des constructeurs. En 1993, il installe une usine au Portugal, puis suivront le Maroc, la Roumanie, la Serbie, la Chine, le Mexique, les États-Unis, l’Inde et l’Allemagne. En 2008, Faouzi Elloumi assurait que la moitié des câbles en courant continu présents sur les Chrysler aux États-Unis ou sur les Volkswagen et Peugeot en Europe venaient du groupe. Ce succès, la famille Elloumi préfère le savourer discrètement. Aucun de ses membres n’a souhaité répondre à nos questions. Ses détracteurs dénoncent un management opaque et rigide, où même les syndicats sont interdits. « Si le groupe a toujours refusé d’introduire ses sociétés en Bourse, c’est parce qu’il rechigne à se soumettre aux impératifs de transparence », analyse Adel Ayari, économiste et sociologue au think tank Carep (Centre arabe de recherches et d’études politiques).


Culture de l’innovation

Pendant les années Ben Ali, le groupe jouit d’une certaine proximité avec le pouvoir, mais ses dirigeants ont su préserver l’indépendance nécessaire à la conduite de leurs affaires. Pour l’ambassade américaine, dont les câbles diplomatiques ont été révélés par WikiLeaks, l’empire Elloumi est même un modèle à suivre pour le secteur privé tunisien. Après la révolution, la famille a conservé son influence, notamment au sein du patronat tunisien, dont Hichem Elloumi est le premier vice-président, mais aussi dans la sphère politique, où Selma Elloumi, après avoir été élue au Parlement, a été ministre du Tourisme de 2015 à 2018. Son engagement pour l’intérêt général est ancien et s’est manifesté par la promotion des régions défavorisées auprès des groupes étrangers du secteur automobile. « Si la société japonaise Yazaki a investi à Gafsa dès 2009, c’est grâce aux efforts du gouvernement, mais aussi à l’implication d’opérateurs tels que Hichem Elloumi, qui a mis son temps et ses réseaux au service de l’État, ce qui n’est pas forcément évident pour un acteur privé », souligne l’ancien ministre Afif Chelbi.

À l’image de l’ensemble des industriels dans le monde, la pandémie de Covid-19 fait peser une menace soudaine sur les activités du groupe. En Tunisie, le confinement décrété de la fin de mars à la mi-mai a entraîné l’arrêt des usines. Cofat comme Coficab n’ont pas été épargnées, mais leur existence n’est pas remise en cause, même si leurs dirigeants peuvent être légitimement inquiets face à l’effondrement des ventes des constructeurs automobiles en avril (– 55%) et en mai (– 76%). Avant la crise, le groupe avait pris le virage des voitures électriques et autonomes. Dès 2014, Coficab s’était dotée d’un deuxième centre de recherche au Portugal afin de mieux répondre aux besoins des constructeurs. Ces investissements dans le développement de technologies innovantes ont permis à Coficab et Cofat de mettre au point, en partenariat avec le leader allemand de l’équipement automobile, Leoni, une nouvelle génération de câbles utilisée pour la production de l’Audi Q6 e-Tron.

La culture de l’innovation s’inscrit d’ailleurs au cœur de l’ADN du groupe. Au cours des années 1990, le gouvernement avait convaincu ses dirigeants de participer à la redynamisation du secteur agroalimentaire tunisien. Créée pour mettre en valeur un domaine de 224 hectares dans la région du cap Bon, la société Stifen a été l’une des pionnières dans l’adoption d’une technique de surgélation (individual quick frozen) qui permet de surgeler à cœur des fruits en quelques secondes, devenant l’un des fournisseurs de géants comme Danone, Kellogg’s ou encore Andros. « Notre avantage par rapport à la concurrence marocaine ou égyptienne, c’est notre savoir-faire sur la traçabilité, depuis le plant jusqu’au produit fini. Une préoccupation qui vient directement de la câblerie. Que ce soit dans l’automobile ou l’alimentaire, la sécurité du consommateur est primordiale. D’ailleurs, les contrats avec les clients, Danone ou Volkswagen, sont similaires : il faut pouvoir tracer les produits à toutes les étapes de la chaîne de valeur. Et ça, nous savons le faire parfaitement », résume Emna Ben Yahia, responsable vente et marketing chez Stifen.

Troisième génération

Aujourd’hui, l’entreprise agro-industrielle, qui est une référence régionale, réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires à l’exportation (Europe, Moyen-Orient, États-Unis, etc.). Cette dynamique a démarré dès 2007, avec l’installation d’une usine en Égypte. Pendant la crise, si les sites de production ont ralenti leur rythme, l’activité est restée importante, aidée en cela par le mois du ramadan, qui est traditionnellement une période de forte consommation. Depuis 2018, Fatma Rekik, fille de Selma Elloumi Rekik, a pris les rênes de Stifen. Celle qui incarne la troisième génération à la tête des entreprises du groupe a impulsé un virage important au cours des vingt-quatre derniers mois. Désormais, Stifen n’est plus seulement un fournisseur des géants de l’agroalimentaire, elle commercialise ses propres produits finis sous les marques La Fruitière et Furketta.

dimanche 14 juin 2020

Traffic de pétrole en méditerranée

Contrebande de pétrole

Au large de la Sicile et de la Tunisie en pleine méditerranée ont trouve plein de bateaux pétroliers qui vende du pétrole libyen. C'est bateau circule dans les eaux internationales en attente de vendre leurs bruts sur un autre tanker qui lui va prendre la route européenne ou asiatique. Pour apercevoir c'est tanker, il suffit de prendre un bateau commercial entre Tunis et la Sicile, et vous les verrais tous en train de naviguer dans la zone. C'est devenu un vrai business en méditerranée depuis la guerre, les bateaux et tanker pillule dans la zone....

Contrebande de pétrole
Contrebande de pétrole


Contrebande de pétrole
Contrebande de pétrole


Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole


Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie
Contrebande de pétrole entre la Tunisie et l'Italie

samedi 21 mars 2020

Banque mondiale en Tunisie

Le capital sympathie de la Tunisie s'érode



Ferid Belhaj, vice-Président de la Banque mondiale
Ferid Belhaj, vice-Président de la Banque mondiale


Le dirigeant brosse un tableau sans concession de la conjoncture régionale, plaidant pour une plus grande place du secteur privé et pour l’accélération des réformes.


Vétéran de la Banque mondiale (BM), où il a passé vingt ans, le Tunisien Ferid Belhaj, nommé vice-président en juillet 2018, conserve son franc-parler sur la situation d’une zone Moyen-Orient-Afrique du Nord où l’institution multilatérale a réduit son empreinte. Passés de 6,3 milliards de dollars en 2018 à 5,4 milliards en 2019, ses financements seront encore en repli en 2020.
Question: Pourquoi estimez-vous que la croissance du Maroc est « en deçà de ses ambitions » ?
Ferid Belhaj: Le Maroc d’aujourd’hui me fait un peu penser à la Tunisie de 2008 : des indicateurs
positifs, mais aussi des fragilités. Vu la stabilité du pays et sa forte capacité à attirer les investissements, il devrait afficher un taux de croissance de 6 % à 7 %. Or celui-ci ne dépasse pas les 3 %, ce qui ne permet pas de créer assez d’emplois pour assurer un développement soutenable. Il faut
donner plus d’oxygène au secteur privé, augmenter la concurrence, avec une autorité dotée d’une capacité de sanction. Sur ce point, celle prise contre un opérateur télécoms va dans le bon sens. Même si le plaignant a retiré sa plainte, le régulateur a fait son travail.

Un an après le début du Hirak en Algérie, comment évaluez-vous la situation économique du pays ?
Les perspectives sont très positives. Le gouvernement lance une série de réformes, dont l’abandon de la règle 51/49, qui est un signal fort. Et le pays n’a quasiment pas de dette extérieure. Il a besoin de financements intelligents : des partenaires arrivant avec des fonds et des suggestions sur les moyens de les mettre en œuvre.

Qu’en est-il de la lutte contre la corruption?
Même si des changements sont engagés et qu’une nouvelle dynamique est en marche, il est encore trop tôt pour statuer sur la crédibilité des réformes économiques.Ce point se pose aussi pour la Tunisie.

Peut-on parler d’une impasse ?
Depuis 2011, la BM a mobilisé 2,7 milliards de dollars d’appui budgétaire et 1,5 milliard supplémentaires en financement de projets. Hélas, ce soutien s’est trop peu traduit par des
résultats. Soit les réformes n’ont pas été menées à leur terme, soit elles n’ont pas été conduites du tout. Le capital sympathie du pays s’érode. Il est temps de tenir un nouveau discours à la Tunisie, un discours de vérité : les amis du pays doivent lui dire clairement qu’il faut être plus entreprenant, qu’il faut engager des réformes certes douloureuses mais nécessaires. Ce n’est pas rendre service que de se taire.

Quelle est la priorité ?
Revoir la place de l’État dans l’économie. Les entreprises publiques grèvent le budget et privent le secteur privé de ressources. Il faut développer des PPP, résoudre le problème des caisses de sécurité sociale, qui sont des bombes à retardement, et réformer les subventions sur les produits pétroliers, l’eau, l’électricité, les biens alimentaires. La Jordanie, l’Indoné­sie, le Mexique et la Turquie y sont
parvenus ! Sur tous ces sujets, le dialogue existe entre syndicats et patronat, mais il ne remonte pas jusqu’au gouvernement. Il faut du courage politique pour aller vers des réformes structurelles : les dirigeants n’en ont pas toujours fait bon usage

Comment classez-vous l’Égypte ?
C’est l’exemple d’un pays qui a eu le courage de ses réformes, malgré le coût politique et social. Grâce à un redressement macroéconomique spectaculaire, il est sur une pente ascendante de croissance à 4 %-6 %; L'inflation, bien que toujours importante, est peu à peu maîtrisée ; les
investissements étrangers se matérialisent... Il doit maintenant entrer dans une seconde phase de réformes qui va encore une fois questionner la place de l’État dans l’économie,

jeudi 26 septembre 2019

Pourquoi Tunisair ne redécolle pas


Malgré un regain du tourisme en 2018, la compagnie nationale ne peut se relancer en raison des tensions budgétaires de l'État et d'un manque de volonté politique




La situation reste plus que jamais tendue à Tunisair depuis le début de l’année 2019. L’une de ses dernières illustrations date de la mi-mars. Un mouvement de colère s’est emparé des pilotes de la compagnie, causant des per­turbations sur cinq à six vols, dont qua­rante-trois heures de retard sur une liaison Djerba-Bruxelles. Les 270 pilotes n’avaient pourtant pas déposé de préavis de grève, contrairement à ce qu’a insinué dans la presse le PDG de la compagnie nationale tunisienne, Ilyes Mnakbi. En fait, ils n’ont assuré que les vols inscrits à leur plan­ning, et pas ceux qui étaient retardés ou supplémentaires.

Au départ de cette protestation, il s’agis­ sait bien de faire valoir des revendications sociales. Car 70 % de leur salaire - aux envi­rons de 10000 dinars (près de 3000 euros) pour les commandants de bord et de 5 000 dinars pour les copilotes - consiste en une part variable tributaire de leur activité en vol. Mais cette dernière est fortement affectée par les retards d’approvisionnement en pièces détachées, un fait symptomatique de la situation de la compagnie, qui n’a plus les moyens de se fournir régulièrement... Et les pilotes se retrouvent perdants.

Il s’agissait aussi pour eux de sonner l’alarme sur l’état de l’entreprise détenue à 64,86 % par l’État. « Aujourd’hui, six avions sur 28 sont cloués au sol. La compagnie n’a pas les ressources pour remplacer les pièces manquantes et les moteurs. Elle a du mal à honorer ses dettes et ses factures. Mais, du point de vue des pilotes, il s’agit surtout d’une question de sécurité. L’équation est très simple: pas d’argent, pas de pièces, pas de maintenance, donc pas de confiance dans la sécurité des appareils », déplore Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne (FTPL). De nombreux pilotes souhaiteraient quitter Tunisair pour rejoindre des compagnies du Golfe, où les salaires sont cinq fois plus éle­vés. Une situation paradoxale pour la société tunisienne dont les résultats commerciaux sont pourtant au beau fixe. Selon les informations disponibles, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 1,568 milliard de dinars sur l’an­née 2018, contre 1,283 milliard en 2017. Elle a même enregistré, toujours en 2018, un trafic record de 3,8 millions de passagers, signant vingt-deux mois consécutifs de progression, alors que son retrait du marché libyen en 2014 avait pesé lourdement sur ses comptes.

Plan de redressement repoussé

Mais il s’agit là de résultats en trompe l’œil. Tunisair n’est pas vraiment en mesure d’absorber la croissance du tourisme.

De fait, les recettes engendrées par l’acti­vité au pays du Jasmin ont déjà crû de 42,1 % en 2018 par rapport à 2017. Mais, à cause des difficultés budgétaires de l’État, la compa­gnie à la gazelle rouge doit éternellement repousser son plan de redressement prévu depuis... 2012. Un plan qu’elle avait réactivé l’année dernière en vue de l’ouverture du ciel (hors aéroport de Tunis-Carthage), elle aussi remise à plus tard.

Alors que la flotte est âgée de plus de 15 ans, la livraison de cinq nouveaux appa­reils Airbus A320 neo de location n’inter­ viendra pas cette année comme attendu. Ce renouvellement était pourtant prévu depuis 2008. Après avoir ouvert les des­ desertes de Niamey, Conakry et Cotonou en 2016 et 2017, Tunisair ne pourra finalement pas inaugurer de liaisons avec Douala et N’Djamena en 2019. L’orientation vers l’Afrique subsaharienne est pourtant au cœur de la stratégie de relance de la compagnie dans un pays qui attire de plus en plus de touristes médicaux et d’étudiants de ces zones.

Le départ volontaire de 1146 salariés, sur un total de 7 700, est toujours bloqué égale­ment, car il faut trouver un accord avec les caisses sociales, excessivement déficitaires. Le relèvement de l’âge de la retraite de un an prévu à partir de juillet 2019 devrait permettre de les renflouer, mais à long terme seulement.

De plus, le transporteur aérien attend une recapitalisation de 1,5 milliard de dinars, « dont 600 millions de conver­sion de la dette-fournisseur de l’office de l’aviation civile et des aéroports [Oaca] en actions et 700 millions d’argent frais à la charge de l’État tunisien, mais qu’il a du mal à décaisser », rappelle Salma Kharbachi, analyste financière au sein du cabinet AlphaMena. En 2016 - c’est le der­nier résultat officiel connu -, l’entreprise avait enregistré une perte équivalant à 16,4 % de son chiffre d’affaires.

Partenariat ou privatisation


D’autres solutions existent, selon cer­tains, pour envisager un redressement à court terme. « On peut supprimer la TVA, exonérer la compagnie de taxes d’atterris­ sage pendant un moment. L’État peut être garant d’un crédit. Il faut libérer des pilotes pour baisser la masse salariale ou revoir certains éléments de salaire qui n’ont pas beaucoup d’impact sur cette dernière et qui garantissent la pérennité de la sécurité dans la compagnie », estime sans détour Karim Elloumi.

Le recours à un partenaire stratégique ou à une privatisation pourrait lui aussi être envisagé. Mais, au gouvernement, personne ne souhaite prendre de décision ferme en ce sens, selon les observateurs. Le risque poli­tique que ferait encourir une cession totale ou partielle de cette entreprise nationale, même si elle est cotée en Bourse avec 20 % de son capital flottant, paraît trop grand à l’approche des échéances électorales de novembre 2019. Le destin de Tunisair en reste pour le moment otage des politiques ignorante du gouvernement.

samedi 17 août 2019

Pétrole tunisien

Dans ce secteur clé pour la Tunisie, les perspectives de nouvelles découvertes et les réformes de gouvernance attirent à nouveau les investisseurs. Mais des zones d’ombre demeurent.





Pétrole Tunisie
Pétrole Tunisie: Ici, la plate-forme pétrolière d’Ecumed au large de Zarzis, dans le sud-est tunisien.

Et si le pétrole et le gaz sauvaient la Tunisie ? Non, le pays ne deviendra pas un géant de l’or noir comme ses voisins libyen et algérien. Mais 2019 signe « l’année de la reprise », se félicite Mohamed Ali Khelil, le PDG de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap), société publique chargée des hydrocarbures. Le 28 juin, six permis d’exploration ont été octroyés, et trois autres devraient suivre d’ici à la fin de l’année.

Obtenues en six mois à peine, ces neuf nouvelles concessions représenteront une augmentation d’un tiers des 21 permis en activité en 2018. Autre chiffre significatif : les investissements dans le domaine de l’exploration sont passés de 72 millions de dollars en 2018 à 254 millions en 2019. Le pays profite de deux ans d’accalmie sur le front social. La production de pétrole dans le sud du pays, où se trouvent les principaux sites, avait été totalement bloquée pendant trois mois en 2017.

La confiance semble donc reve­nue chez les opérateurs étrangers. Au point de partir à l’assaut de zones inexplorées. Sur les six permis, trois concernent, pour la première fois, l’offshore dans le nord du pays.

Le norvégien Panoceanic Energy Limited ne s’y est pas aventuré par hasard : depuis 2015 et la découverte au large de l’Égypte du gisement de Zohr, la Méditerranée est deve­nue un eldorado à prospecter. Or la Tunisie est, selon plusieurs sources, une région sous-explorée. D’où la politique de l’Etap visant à valori­ser et à mettre à niveau ses données géologiques, et à se « vendre » davan­tage à l’international par le biais des chambres de commerce mixtes, notamment vers l’Asie « où sont les nouveaux marchés », assure le PDG de 1 Etap. Les sociétés déjà présentes ne sont pas en reste.

L’extension prochaine du site gazier de Nawara, détenu pour moitié par l’autrichien OMV, devrait permettre de réduire les importations de gaz de 30 %. Dans le golfe de Gabès, les réserves gazières sont aussi alléchantes, même si leur forte teneur en CO2 et H2S rend l’extraction compliquée. Cette embellie fait mentir les cassandres qui prédisaient un départ des sociétés étrangères après l’amendement du Code des hydrocarbures en 2017 qui exige le vote du Parlement pour l’obtention des permis : la Tunisie n’a jamais connu une telle frénésie d’exploration depuis les années 1970, époque où les majors étaient sur place, avant d’estimer qu’il n’y avait plus rien à découvrir. Ce qui était jusqu’alors exact; en 2016, un quart de la pro­duction de pétrole provenait encore de deux des plus anciens champs, El-Borma et Ashtart. Le chemin est donc encore long pour réduire une dette énergétique considérable. 

En 2018, elle représentait un tiers du déficit commercial, estimé à 5,8 milliards d’euros ; un chiffre brandi par de nombreux acteurs pour s’attaquer à un tabou : l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. L'extraction non conventionnelleau centre des débats« Si l’on veut améliorer notre sécurité énergétique, il faudra, outre les mesures en cours visant à introduire des énergies renouvelables, passer par le non-conventionnel. On doit donc permettre les forages d’exploration, de fracturation et d’essais de puits sur ces réservoirs encore peu connus pour savoir quelles sont nos réserves exactes et décider de la marche à suivre », analyse Hichem Mansour, président de HOSN Energy Consulting. 

L’État a lancé, en 2017, une étude d’impact économique, social et environnemental sur l’utilisation de ces nouvelles technologies. Les résultats sont attendus pour le début de 2020. Prudent, Mohamed Ali Khelil renvoie la question aux prochains décideurs politiques qui seront élus à l’issue des scrutins de l’automne. Le patron de l’Etap précise cependant: « Si les réserves sont autour de 23 tcf [trillion cubic feet], comme l’annoncent deux études américaine et britannique, la Tunisie deviendrait un pays exportateur... » La société civile réplique par le biais d’une étude allemande de la Fondation Heinrich-Bôll, proche des Verts. En 2015, elle listait les dangers sanitaires (gaz dans l’eau courante...), environnementaux (produits chimiques dans les nappes phréatiques...) causés par l’extraction non conventionnelle. « Nous n’avons pas de position arrêtée car les données complètes manquent. Mais outre les dangers potentiels que soulève l’institut Bôll, il y a sur tout un manque de clarté », dénonce Sihem Bouazza, coordinatrice de la Coalition nationale pour la transparence dans l’énergie et les mines. Et d’évoquer le risque que le grand Sud tunisien ne devienne, pour les sociétés pétrolières, un champ de tests grandeur nature - à l’abri des regards, car il s’agit d’une zone militaire - concernant les fracturations hydrauliques non conventionnelles ou tout serait permis ...

LA MUE TANT ATTENDUE DE L ETAP

L'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières est partie prenante dans l'octroi des blocs pétroliers et dans la commercialisation de l'or noir. Une hérésie pour certains observa­teurs. À sa tète depuis décembre 2018, Mohamed Ali Khelil, ex-DG stratégies au ministère de l'Énergie, a lancé une réforme pour en faire l'unique opérateur spécialisé dans les champs matures et marginaux, peu attractifs pour les sociétés étrangères mais primor­diaux pour un pays où chaque baril produit compte. La promotion du sous-sol reviendrait à une agence ad hoc. Reste à savoir si la prochaine majorité politique maintiendra ce cap.

samedi 4 mai 2019

Sur la frontière algérienne, les Tunisiens vivent des échanges entre les deux pays

Commerce : Sakiet Sidi Youssef, Tunisie




Poste frontiere tunisien
Poste frontiere tunisien


A Sakiet Sidi Youssef, petite ville tunisienne limitrophe de l’Algérie où les liens sont extrêmement forts entre les deux pays. Les Tunisiens, qui dépendent largement des échanges avec leur puissant voisin, regardent avec attention la révolution qui a fait démissionner Bouteflika.

« Quand on a entendu les bombardements, nous nous sommes cachés sous la table de la cuisine, ma mère, ma sœur et moi. Autour de nous, tout était détruit, les maisons avaient été soufflées par le choc », raconte Fatma Frihi, 78 ans, dans sa maison de Sakiet Sidi Youssef, au nord-ouest de la Tunisie. Elle se souvient du bombardement du 8 février 1958, opéré par des soldats français en pleine guerre d’Algérie. Soixante-dix habitants de la ville avaient péri.

Sakiet Sidi Youssef était alors l’une des bases arrière de la guerre. Des Algériens s’y étaient réfugiés et faisaient passer des armes entre les deux pays.

Plus de soixante ans plus tard, la ville semble figée dans son histoire. Le manque d’infrastructures, de développement et le taux de chômage élevé (22,1 %) font qu’elle dépend des échanges commerciaux et de la contrebande avec son voisin algérien. La seule fois où le poste-frontière a été fermé remonte à 2011, pendant la révolution tunisienne, quand les Algériens craignaient des débordements.

Aujourd’hui, même si les manifestations d’Alger se tiennent à près de 600 kilomètres de la ville, les Sakietois redoutent les retombées économiques d’un changement de régime ou de l’instabilité. « Nous sommes heureux pour les Algériens mais en même temps, la ville reste très dépendante de tout le commerce avec l’Algérie. Nous n’avons pas grand-chose d’autre. Le régime de Bouteflika contrôle les échanges frontaliers donc, qu’adviendra-t-il quand il sera complètement parti ? » se demande Mohamed, un fonctionnaire. Sa tante est algérienne et comme beaucoup de Sakietois, il est issu d’une famille mixte.

Depuis les hauteurs de Sakiet, se dessine Haddada, la ville algérienne distante de quelques kilomètres seulement. Dans les plaines, cimetières algériens et tunisiens se font face, rappelant les liens historiques des deux villes.

« Quand j’étais petit, on passait sans passeport d’un pays à l’autre, on allait jouer dans les cimetières. Les enfants algériens de Haddada, qui n’était pas aussi développée que maintenant, venaient à l’école chez nous », raconte Azzedine Labidi, 62 ans, le fils de Fatma.

Mais malgré ces liens et l’emplacement stratégique de la ville, les Sakietois profitent peu de cet atout. L’entreprise Sacmo, une société maghrébine de fabrication de moteurs thermiques qui employait 1 200 personnes sur les 6 300 que compte la ville, a fermé depuis des années. Elle exportait à 70 % vers l’Algérie.

Les restes de la mine de plomb, où travaillaient les Sakietois pendant le protectorat français, font face aux maisons des mineurs dont les tuiles ocre sont progressivement recouvertes de ciment par les nouveaux arrivants. Le vieux Sakiet a pratiquement été détruit pendant les bombardements. Aujourd’hui, il est dédié au logement social.

Au poste-frontière, juste à côté du centre- ville, les poids lourds algériens font la queue pour entrer. Beaucoup viennent acheter des denrées alimentaires comme la chamia tunisienne, une sorte de pâte de sésame sucrée, des fripes, des boîtes de conserve pour les tomates, et les ramènent au pays. Les Tunisiens, eux, achètent du maquillage, des produits alimentaires aussi, de l’huile. La ville est si proche de la frontière que certains habitants passent à pied avec leurs sacs de courses.

« Avant, beaucoup de Tunisiens allaient faire du shopping en Algérie. Maintenant, c’est l’inverse depuis quatre, cinq ans, avec la dévaluation du dinar », raconte Azzedine Mhrezgui, 45 ans, qui tient une station de lavage de voitures à côté du poste frontalier. Toutes les stations-service de la ville ont fermé depuis la révolution. Pour trouver de l’essence à Sakiet, il faut appeler un contrebandier ou aller sur le bord des routes où des vendeurs proposent des bidons.

La contrebande est devenue une manne commerciale pour les jeunes chômeurs de la ville avec comme produit favori l’essence algérienne, moins chère que le carburant tunisien dont les prix ne cessent d’augmenter.

En Tunisie, avec les dernières augmentations du mois d’avril, le prix du litre l’essence sans plomb est à plus de 2 dinars (0,5 euro) et le gasoil entre 1,5 et 1,8 dinar selon les types. En Algérie, le prix du litre ne dépasse pas un dinar tunisien. Les contrebandiers aguerris peuvent gagner jusqu’à 1 000 dinars (300 euros) par nuit ou par semaine, selon la fréquence de leur trafic, le double d’un Smic tunisien.

« J’ai vu mes amis du café passer de 0 dinar par jour à une D-Max [sorte de 4×4 – ndlr] toute neuve, alors évidemment, on a tous eu envie de s’essayer à la contrebande », raconte Youssef, un jeune de 24 ans qui a passé deux ou trois fois illégalement la frontière avec de l’essence. « Il suffit d’attendre la nuit et de passer les oueds [rivières – ndlr] qui bordent la frontière... On se parle par signal lumineux, mais ça reste très dangereux. J’ai un ami qui s’est fait arrêter par les autorités algériennes récemment », ajoute Youssef. Il a vu dernièrement le contrôle à la frontière se renforcer. « On sent que les douanes et la police algérienne sont plus agressives et vigilantes, alors qu’en Tunisie, ça reste assez laxiste », dit-il.

Mais la contrebande gangrène aussi le reste de l’économie. Dans les faubourgs de la ville, des magasins clandestins ont pignon sur rue. « Ici, si vous n’êtes pas fonctionnaire ou agriculteur, vous n’avez pas trop d’autre choix. Nos jeunes partent ou risquent leur vie sur la frontière », raconte Manel, mère de famille et éducatrice.

Chez Abdessatar, « le barbu » comme le surnomment ceux qui le connaissent, la devanture n’indique pas vraiment le type de commerce qu’il tient. À l’intérieur, dans une pénombre voulue, Abdessatar trône au milieu de bonbons et de gâteaux algériens de la marque Cherchell. L’épicier clandestin glisse des chocolats dans les mains de ses clients et montre une amende dont il vient d’écoper de la part de la douane à la frontière, la première depuis le début de son activité.

« Ils ont contrôlé ma marchandise et m’ont dit que ce n’était pas en règle, je ne sais pas trop ce qui se passe », dit-il avant de se rétracter et de chasser ses visiteurs. « Je ne veux pas avoir plus de problèmes », ajoute- t-il.

Juste à côté de sa boutique, une autre caverne dénuée de lumière héberge Feiza, qui vend des produits de beauté tunisiens et algériens. « La qualité de certains produits de maquillage en Algérie est meilleure qu’en Tunisie, il y a beaucoup de demande », raconte-t-elle. Elle dit avoir monté son commerce grâce au microcrédit d’une ONG mais reste évasive sur la légalité de la vente de produits algériens.

Plus loin, le propriétaire d’un petit hamas (épicerie et quincaillerie) confie que vendre des produits algériens est interdit pour tous ces commerces qui vivotent, comme les contrebandiers.

« La ville et la région ont du potentiel mais nous avons été délaissés, comme d’autres, par des politiques publiques qui nous ont peu touchés et des politiques qui se mettent des bâtons dans les roues entre eux au lieu d’avoir à cœur le développement de la ville », assure Azzedine.

Aujourd’hui, la ville se prépare à recevoir le gaz naturel algérien, qui a commencé à être importé depuis décembre dernier dans le cadre d’une coopération tuniso- algérienne. Sur les murs de certaines maisons, les compteurs sont fraîchement installés et vont remplacer les bonbonnes de gaz. Cet apport devrait permettre, selon les officiels, la relance du développement et de l’économie de la ville.