samedi 17 août 2019

Pétrole tunisien

Dans ce secteur clé pour la Tunisie, les perspectives de nouvelles découvertes et les réformes de gouvernance attirent à nouveau les investisseurs. Mais des zones d’ombre demeurent.





Pétrole Tunisie
Pétrole Tunisie: Ici, la plate-forme pétrolière d’Ecumed au large de Zarzis, dans le sud-est tunisien.

Et si le pétrole et le gaz sauvaient la Tunisie ? Non, le pays ne deviendra pas un géant de l’or noir comme ses voisins libyen et algérien. Mais 2019 signe « l’année de la reprise », se félicite Mohamed Ali Khelil, le PDG de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap), société publique chargée des hydrocarbures. Le 28 juin, six permis d’exploration ont été octroyés, et trois autres devraient suivre d’ici à la fin de l’année.

Obtenues en six mois à peine, ces neuf nouvelles concessions représenteront une augmentation d’un tiers des 21 permis en activité en 2018. Autre chiffre significatif : les investissements dans le domaine de l’exploration sont passés de 72 millions de dollars en 2018 à 254 millions en 2019. Le pays profite de deux ans d’accalmie sur le front social. La production de pétrole dans le sud du pays, où se trouvent les principaux sites, avait été totalement bloquée pendant trois mois en 2017.

La confiance semble donc reve­nue chez les opérateurs étrangers. Au point de partir à l’assaut de zones inexplorées. Sur les six permis, trois concernent, pour la première fois, l’offshore dans le nord du pays.

Le norvégien Panoceanic Energy Limited ne s’y est pas aventuré par hasard : depuis 2015 et la découverte au large de l’Égypte du gisement de Zohr, la Méditerranée est deve­nue un eldorado à prospecter. Or la Tunisie est, selon plusieurs sources, une région sous-explorée. D’où la politique de l’Etap visant à valori­ser et à mettre à niveau ses données géologiques, et à se « vendre » davan­tage à l’international par le biais des chambres de commerce mixtes, notamment vers l’Asie « où sont les nouveaux marchés », assure le PDG de 1 Etap. Les sociétés déjà présentes ne sont pas en reste.

L’extension prochaine du site gazier de Nawara, détenu pour moitié par l’autrichien OMV, devrait permettre de réduire les importations de gaz de 30 %. Dans le golfe de Gabès, les réserves gazières sont aussi alléchantes, même si leur forte teneur en CO2 et H2S rend l’extraction compliquée. Cette embellie fait mentir les cassandres qui prédisaient un départ des sociétés étrangères après l’amendement du Code des hydrocarbures en 2017 qui exige le vote du Parlement pour l’obtention des permis : la Tunisie n’a jamais connu une telle frénésie d’exploration depuis les années 1970, époque où les majors étaient sur place, avant d’estimer qu’il n’y avait plus rien à découvrir. Ce qui était jusqu’alors exact; en 2016, un quart de la pro­duction de pétrole provenait encore de deux des plus anciens champs, El-Borma et Ashtart. Le chemin est donc encore long pour réduire une dette énergétique considérable. 

En 2018, elle représentait un tiers du déficit commercial, estimé à 5,8 milliards d’euros ; un chiffre brandi par de nombreux acteurs pour s’attaquer à un tabou : l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. L'extraction non conventionnelleau centre des débats« Si l’on veut améliorer notre sécurité énergétique, il faudra, outre les mesures en cours visant à introduire des énergies renouvelables, passer par le non-conventionnel. On doit donc permettre les forages d’exploration, de fracturation et d’essais de puits sur ces réservoirs encore peu connus pour savoir quelles sont nos réserves exactes et décider de la marche à suivre », analyse Hichem Mansour, président de HOSN Energy Consulting. 

L’État a lancé, en 2017, une étude d’impact économique, social et environnemental sur l’utilisation de ces nouvelles technologies. Les résultats sont attendus pour le début de 2020. Prudent, Mohamed Ali Khelil renvoie la question aux prochains décideurs politiques qui seront élus à l’issue des scrutins de l’automne. Le patron de l’Etap précise cependant: « Si les réserves sont autour de 23 tcf [trillion cubic feet], comme l’annoncent deux études américaine et britannique, la Tunisie deviendrait un pays exportateur... » La société civile réplique par le biais d’une étude allemande de la Fondation Heinrich-Bôll, proche des Verts. En 2015, elle listait les dangers sanitaires (gaz dans l’eau courante...), environnementaux (produits chimiques dans les nappes phréatiques...) causés par l’extraction non conventionnelle. « Nous n’avons pas de position arrêtée car les données complètes manquent. Mais outre les dangers potentiels que soulève l’institut Bôll, il y a sur tout un manque de clarté », dénonce Sihem Bouazza, coordinatrice de la Coalition nationale pour la transparence dans l’énergie et les mines. Et d’évoquer le risque que le grand Sud tunisien ne devienne, pour les sociétés pétrolières, un champ de tests grandeur nature - à l’abri des regards, car il s’agit d’une zone militaire - concernant les fracturations hydrauliques non conventionnelles ou tout serait permis ...

LA MUE TANT ATTENDUE DE L ETAP

L'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières est partie prenante dans l'octroi des blocs pétroliers et dans la commercialisation de l'or noir. Une hérésie pour certains observa­teurs. À sa tète depuis décembre 2018, Mohamed Ali Khelil, ex-DG stratégies au ministère de l'Énergie, a lancé une réforme pour en faire l'unique opérateur spécialisé dans les champs matures et marginaux, peu attractifs pour les sociétés étrangères mais primor­diaux pour un pays où chaque baril produit compte. La promotion du sous-sol reviendrait à une agence ad hoc. Reste à savoir si la prochaine majorité politique maintiendra ce cap.