mardi 19 février 2019

En Afrique francophone, Berlin détrône Paris

La première économie européenne est perçue comme l’un des «partenaires les plus bénéfiques pour le continent africain»





Puissance économique en Afrique francophone



Berlin d’abord... Interrogés pour savoir quelles sont les trois nations dont ils ont la meilleure image, les jeunes leaders d’opinion de huit pays d’Afrique francophone plébiscitent l’Allemagne, en tête du classement, bien avant la France. C’est le cas de 45 % des universitaires, blogueurs, journalistes et autres start-upeurs sondés dans le cadre du nouveau baromètre Africa Leads, établi par l’Institut Immar. En comparaison, Paris n’occupe que le cinquième rang, avec 21 % des suffrages.

Sur les 1 244 influenceurs interrogés pour le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui regroupe 80 % des patrons français installés sur le continent, beaucoup avouent voir dans la première économie européenne l’un des « partenaires les plus bénéfiques pour le continent ». Ils la placent juste après la Chine et le Japon et sont 70 % à la citer, quand 53 % évoquent la France.

L’Hexagone se retrouve donc en septième position et l’Allemagne en troisième, au sein d’une liste fermée de dix pays « utiles ». Dans l’esprit de ces jeunes influenceurs, «qui font déjà l’Afrique, et qui, selon une mécanique plus vraie en Afrique qu’en Europe, permettent d’anticiper ce que sera l’opinion publique dans quelques années », comme le rappelle Mohamed El Kalchi, le directeur des études de l’Institut Immar, Paris est devancé par Berlin aussi bien au Maghreb (70 % contre 82 %) qu’en Afrique centrale (44 % contre 75 %) et en Afrique de l’ouest (44 % contre 52 %), les trois zones sur lesquelles porte l’enquête.

Que l’Afrique ait cessé d’être le pré carré des anciennes puissances coloniales n’est pas une nouveauté. Avec ses 3,5 % de croissance annuelle depuis 2017 – la Banque africaine de développement (BAD) prévoit 4 % pour 2019 et 4,1 % pour 2020 –, elle est devenue le relais de croissance des autres continents et concentre tous les espoirs à moyen terme. Si l’offensive asiatique crée du surendettement, le baromètre montre que Pékin reste tout de même bien perçu.

Pour Etienne Giros, président délégué du CIAN, dont l’organisation réalise (hors énergie) 80 % des échanges avec l’Afrique, l’Allemagne récolte les fruits de « la politique d’Angela Merkel depuis deux ans avec son initiative “Compact with Africa”, et de l’image de qualité de ses produits ». A ce volontarisme s’ajouteraient, selon lui, les retombées d’une approche globale. « Comme la Chine et le Japon, l’Allemagne arrive avec des offres intégrées incluant des prestations de services, des infrastructures et un financement », note-t-il, déplorant le fait que la France « valorise moins [ses] réalisations » et qu’elle ne soit « pas assez [offensive] en matière de communication ».

« Histoire très hystérisée »


Ce baromètre est le deuxième coup de semonce adressé à la France, qui, en 2017 déjà, avait perdu son statut de premier fournisseur européen du continent au profit de l’Allemagne. En juin 2018, l’assureur Coface mentionnait aussi « l’érosion continue des parts de marché des entreprises françaises en Afrique », rappelant qu’« alors que les exportations représentaient près de 11 % des flux vers l’Afrique au début du millénaire, leur poids a été divisé par deux en 2017 ».

Si la courbe des parts de marché est mauvaise, « l’afropessimisme » n’est pas pour autant de mise en France. A cet égard, le baromètre du CIAN atteste que les marques tricolores conservent une place de choix dans les esprits. Certes, Toyota est en tête de celles que citent spontanément les jeunes leaders d’opinion, mais, parmi les dix marques les plus appréciées, ils évoquent spontanément quatre françaises (Orange, Total, Renault et Sogea Satom).

Dans le classement par secteur, Orange rafle même la mise pour les télécommunications, et Air France pour l’aérien. Au niveau du secteur bancaire, la Société générale est troisième, et la BNP, cinquième. Pour ce qui est de l’automobile, Peugeot prend la cinquième place. « Notre histoire est très hystérisée et c’est dommage, analyse Patrice Fonlladosa, président du Medef Afrique. « Nous avons des débats comme celui sur le franc CFA qui font beaucoup de mal en termes d’image, et masquent le fait que nos entreprises ont en réalité bien compris les besoins du continent. »

Le responsable patronal observe que ces sociétés savent créer des filiales locales, s’inscrivent dans la durée pour «écrire l’histoire longue des pays où elles se sont implantées ». Cela concerne tant les grands groupes que les PME. « Chez Orange, CIC ou Total, des manageurs locaux ont pris l’initiative sur le développement continental », rappelle-t-il. « Et nous avons de vrais champions qui ont développé des savoir-faire dans le secteur des infrastructures, le numérique ou la téléphonie. Sans parler de la défense, bien sûr. Il y a des secteurs où l’on conserve une vraie avance. Soyons-en fiers », note en écho Etienne Giros, qui salue les installations récentes dans la nouvelle économie, les services, la confiserie ou l’économie verte.

Diane Binder, membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), qui compte parmi les cent leaders économiques de demain de l’Institut Choiseul, plaide pour que ce virage s’accélère et pour que les entreprises hexagonales « viennent financer des projets, pas expliquer ce qu’il faut faire ». Une attitude de rupture qu’elle juge urgente et qui serait la déclinaison économique de la volonté politique affichée par Emmanuel Macron de tisser de nouveaux liens avec l’Afrique ...

samedi 9 février 2019

L'industrie aéronautique tunisienne poursuit son développement

EN MARGE DU SALON AEROMART TOULOUSE, LES ACTEURS TUNISIENS DE L’INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE ONT FAIT LES YEUX DOUX AUX INVESTISSEURS ACTUELS ET POTENTIELS.




Supply chain Tunisie




Les temps ont bien changé depuis les années où l’industrie aé­ronautique européenne se cachait pour aller produire dans les pays low cost, désormais appelés « best cost ».
C’est désormais un atout dont chacun se félicite et ce n’est d’ailleurs pas le hasard si le séminaire « Tunisie », organisé en marge du salon Aeromart Toulouse 2019, était ouvert par Bernard Keller, l’ancien maire de Blagnac et actuel vice-président du Toulouse Mé­tropole.» La Tunisie contribue à maintenir à Toulouse le pôle d’excellence qui est le sien, confie-t il d’emblée. C’est du gagnant gagnant. La Tunisie est devenue un maillon essentiel de la supply chain d’Airbus. »Alors que le Maroc dispose d’une base de clientèle plus diversifiée, c’est en effet sur Airbus que la Tunisie a majoritairement misé lors du lancement de son développement aéronautique, il y a une dizaine d'années.

Tunis et Toulouse sont désormais reliés par un vol quotidien de Tunisair, sorte de navette prisée par les ingénieurs, commerciaux, développeurs, formateurs, investisseurs, qui échangent de plus en plus régulièrement entre les deux villes. Les productions, quant à elles, sont acheminées avec la même régularité entre Tunis et Toulouse par camion et bateau. « La logistique est bien rodée, explique Nicolas Larger, président de Fleuret Tunisie. Il y a deux bateaux par semaine et il ne faut pas plus de trois jours pour rejoindre Toulouse depuis Tunis. En ce qui nous concerne, nous acheminons un camion par semaine : ce n’est ni cher, ni compliqué. »

Fleuret fut un des pionniers de l’implantation en Tunisie, où l’entreprise est présente depuis 1998. « L’équation était fort simple, reprend Nicolas Larger. Pour continuer à croître, nous devions diminuer nos coûts, ce que nous pouvions faire de deux manières : l’automatisation ou la production en pays best cost. Nous avons choisi la deuxième solution, plus flexible. Ce qui a permis de nous développer en Tunisie, mais également en France, où le nombre d’emplois est passé de 20 à 110 personnes depuis notre im plantation en Tunisie. »

MULTIPLES ATOUTS


Mais ce qui fait la force de la Tunisie, c’est la multitude de ses atouts. Des pays low cost, il y en a beaucoup, mais la Tunisie a réussi avec le temps à devenir un pays « business friendly » à bien des égards, comme le rappelle Elochi Soufian, consultant en intelligence économique entre l'Europe et la Tunisie (Cabinet Knowyse) à Bruxelles. Cela fait plusieurs années que cet homme chaleu reux et convaincant sillonne la France à la recherche d’investis seurs. « La Tunisie est avant tout un vivier de talents, explique-t il. Elle est classée au troisième rang mondial en termes de taux de diplômés de troisième cycle en sciences, ingénierie, industrie et construction. Notre enseigne ment fournit chaque année 65000 nouveaux diplômés dont 30 % sont issus des filières de l’in génierie, des sciences de l’infor matique, des communications. Nous produisons 6000 ingénieurs par an et la source n’est pas près de se tarir, avec quelque 24000 étudiants en cycles de for mation d’ingénieurs. » L'ingénieur tunisien est en outre multilingue et doté d’un salaire mieux maîtrisé que dans d’autres pays. Le salaire moyen brut d’un ingénieur tu nisien est moindre qu’en Pologne et en Roumanie, deux fois moin dre qu’au Maroc et cinq fois moindre qu’en Espagne ou en Italie. Une prouesse rendue pos sible par la grande disponibilité de diplômés et un coût de la vie maîtrisé.

Les industriels soulignent également l’excellent état d’esprit des collaborateurs tunisiens. « Nous avons choisi la Tunisie par rapport au Maroc notamment en raison de la stabilité du pays, explique Patrick Razat, président de Me cahers. Puis il y a eu la révolution, mais nos collaborateurs ont dé­fendu l’usine, ce qui nous a incités à rester.
Les Tunisiens tiennent à leur entreprise, ils ont envie de travailler, ils sont loyaux et respectueux. Et ils sont bons, très bons. »

LOI SUR LESINVESTISSEMENTS


La Tunisie insiste également sur sa loi sur les investissements, mise en place en 2017 et qui règle l’accès au marché, la gouvernance des investissements, les primes, les résolutions des différends... « Prenons quelques exemples des avantages proposés par cette loi, poursuit Fehmi Mili : exo nération fiscale jusqu’à dix ans dans les zones de développement régional, imposition à 10 % pour l’export, recrutement de com pétences étrangères jusqu’à 30 % des cadres, incitations financières jusqu’à 33 % du montant investi pour les projets à intérêt national, simplicité dans les procédures d’établissement au sein d’un gui chet unique, prise en charge totale des contributions sociales et patronales pour certains in vestissements ainsi qu’une partie du coût de la formation, liberté de transfert des bénéfices du ca pital et des plus-values...

Les en treprises ont beaucoup d’avan tages en Tunisie qu’elles n’auront nulle part ailleurs. »Autant d’atouts qui font de la Tunisie une terre promise avec, encore, de nombreuses oppor tunités d’investissements, notam ment dans les domaines des pièces mécaniques usinées à commandes numériques, du découpage et pliage de tôlerie fine, de l’aéros tructure métallique et fuselage, de la soudureTIG et du traitement de surface. « Une des forces de l’industrie tunisienne, c’est qu'elle offre une supply chain de qualité, certes, mais aussi très complète, qui couvre un très large panel de compétences, explique Soufian. On peut presque tout produire localement en Tunisie et le taux d’interaction entre les différents acteurs locaux est très élevé, comme en témoigne d’ail leurs le parc Stelia où le produc teur d’aérostructures a attiré au tour de lui toute sa chaîne de fournisseurs. » Les statistiques de production montrent en effet un certain équilibre entre les dif férents domaines : travail des mé­taux (40 %), câblage (14 %),com posite (6 %), plastiques (6 %), équipements (5 %), traitement de surface (5 %)...

LE GITAS TRÈS ACTIF


Karim Chafroud, vice-président du Gitas (Groupement des in dustries tunisiennes aeronautiques et spatiales), souligne tous les in dicateurs de bonne santé de l’in dustrie aéronautique tunisienne. « Le nombre d’industriels aéro nautiques en Tunisie a été mul tiplié par huit entre 2004 et 2018 et atteint désormais 81 entre prises, dont 51 sont membres du Gitas, explique-t-il. Et le suc cès ne se dément pas, car nous accueillons chaque année plu sieurs nouvelles entreprises. Le secteur crée en outre 1 000 à 1 500 nouveaux emplois chaque année et l’emploi a augmenté de 50 % entre 2011 et 2018 pour atteindre désormais 17 000 em plois. » Les exportations attei gnent 1,5 Md$, dont 88 % à destination de la France, mais aussi une part croissante à des tination du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Le Gitas, dont le président est un industriel français (Thierry Haure-Mi rande), n’est pas pour rien dans ce succès. Doté d'une structure légère et flexible, le groupement s’est im posé comme une plateforme d’échanges de bonnes pratiques essentiellement dans les domaines de la formation, de l’environne ment et de l’industrie du futur. « Nous voulons favoriser les échanges, collaborations et syner gies entre les entreprises du secteur aéronautique et spatial implantées enTunisie, explique Karim Cha froud. Cela, entre autres, pour fa voriser le développement d’une supply chain aéronautique tuni sienne. Nous représentons aussi la profession auprès des autorités nationales tunisiennes et travaillons à la promotion, en Tunisie, du développement d’un environ nement favorable à l’industrie aéronautique et spatiale ainsi que l’implantation de nouvelles en treprises du domaine. Enfin, nous favorisons l’émergence de four nisseurs locaux disposant des agréments nécessaires. » C’est ainsi que la Tunisie s’est patiemment et discrètement pla cée parmi les pays qui comptent sur la carte mondiale des pro ducteurs aéronautiques.