jeudi 26 septembre 2019

Pourquoi Tunisair ne redécolle pas


Malgré un regain du tourisme en 2018, la compagnie nationale ne peut se relancer en raison des tensions budgétaires de l'État et d'un manque de volonté politique




La situation reste plus que jamais tendue à Tunisair depuis le début de l’année 2019. L’une de ses dernières illustrations date de la mi-mars. Un mouvement de colère s’est emparé des pilotes de la compagnie, causant des per­turbations sur cinq à six vols, dont qua­rante-trois heures de retard sur une liaison Djerba-Bruxelles. Les 270 pilotes n’avaient pourtant pas déposé de préavis de grève, contrairement à ce qu’a insinué dans la presse le PDG de la compagnie nationale tunisienne, Ilyes Mnakbi. En fait, ils n’ont assuré que les vols inscrits à leur plan­ning, et pas ceux qui étaient retardés ou supplémentaires.

Au départ de cette protestation, il s’agis­ sait bien de faire valoir des revendications sociales. Car 70 % de leur salaire - aux envi­rons de 10000 dinars (près de 3000 euros) pour les commandants de bord et de 5 000 dinars pour les copilotes - consiste en une part variable tributaire de leur activité en vol. Mais cette dernière est fortement affectée par les retards d’approvisionnement en pièces détachées, un fait symptomatique de la situation de la compagnie, qui n’a plus les moyens de se fournir régulièrement... Et les pilotes se retrouvent perdants.

Il s’agissait aussi pour eux de sonner l’alarme sur l’état de l’entreprise détenue à 64,86 % par l’État. « Aujourd’hui, six avions sur 28 sont cloués au sol. La compagnie n’a pas les ressources pour remplacer les pièces manquantes et les moteurs. Elle a du mal à honorer ses dettes et ses factures. Mais, du point de vue des pilotes, il s’agit surtout d’une question de sécurité. L’équation est très simple: pas d’argent, pas de pièces, pas de maintenance, donc pas de confiance dans la sécurité des appareils », déplore Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne (FTPL). De nombreux pilotes souhaiteraient quitter Tunisair pour rejoindre des compagnies du Golfe, où les salaires sont cinq fois plus éle­vés. Une situation paradoxale pour la société tunisienne dont les résultats commerciaux sont pourtant au beau fixe. Selon les informations disponibles, elle a réalisé un chiffre d’affaires de 1,568 milliard de dinars sur l’an­née 2018, contre 1,283 milliard en 2017. Elle a même enregistré, toujours en 2018, un trafic record de 3,8 millions de passagers, signant vingt-deux mois consécutifs de progression, alors que son retrait du marché libyen en 2014 avait pesé lourdement sur ses comptes.

Plan de redressement repoussé

Mais il s’agit là de résultats en trompe l’œil. Tunisair n’est pas vraiment en mesure d’absorber la croissance du tourisme.

De fait, les recettes engendrées par l’acti­vité au pays du Jasmin ont déjà crû de 42,1 % en 2018 par rapport à 2017. Mais, à cause des difficultés budgétaires de l’État, la compa­gnie à la gazelle rouge doit éternellement repousser son plan de redressement prévu depuis... 2012. Un plan qu’elle avait réactivé l’année dernière en vue de l’ouverture du ciel (hors aéroport de Tunis-Carthage), elle aussi remise à plus tard.

Alors que la flotte est âgée de plus de 15 ans, la livraison de cinq nouveaux appa­reils Airbus A320 neo de location n’inter­ viendra pas cette année comme attendu. Ce renouvellement était pourtant prévu depuis 2008. Après avoir ouvert les des­ desertes de Niamey, Conakry et Cotonou en 2016 et 2017, Tunisair ne pourra finalement pas inaugurer de liaisons avec Douala et N’Djamena en 2019. L’orientation vers l’Afrique subsaharienne est pourtant au cœur de la stratégie de relance de la compagnie dans un pays qui attire de plus en plus de touristes médicaux et d’étudiants de ces zones.

Le départ volontaire de 1146 salariés, sur un total de 7 700, est toujours bloqué égale­ment, car il faut trouver un accord avec les caisses sociales, excessivement déficitaires. Le relèvement de l’âge de la retraite de un an prévu à partir de juillet 2019 devrait permettre de les renflouer, mais à long terme seulement.

De plus, le transporteur aérien attend une recapitalisation de 1,5 milliard de dinars, « dont 600 millions de conver­sion de la dette-fournisseur de l’office de l’aviation civile et des aéroports [Oaca] en actions et 700 millions d’argent frais à la charge de l’État tunisien, mais qu’il a du mal à décaisser », rappelle Salma Kharbachi, analyste financière au sein du cabinet AlphaMena. En 2016 - c’est le der­nier résultat officiel connu -, l’entreprise avait enregistré une perte équivalant à 16,4 % de son chiffre d’affaires.

Partenariat ou privatisation


D’autres solutions existent, selon cer­tains, pour envisager un redressement à court terme. « On peut supprimer la TVA, exonérer la compagnie de taxes d’atterris­ sage pendant un moment. L’État peut être garant d’un crédit. Il faut libérer des pilotes pour baisser la masse salariale ou revoir certains éléments de salaire qui n’ont pas beaucoup d’impact sur cette dernière et qui garantissent la pérennité de la sécurité dans la compagnie », estime sans détour Karim Elloumi.

Le recours à un partenaire stratégique ou à une privatisation pourrait lui aussi être envisagé. Mais, au gouvernement, personne ne souhaite prendre de décision ferme en ce sens, selon les observateurs. Le risque poli­tique que ferait encourir une cession totale ou partielle de cette entreprise nationale, même si elle est cotée en Bourse avec 20 % de son capital flottant, paraît trop grand à l’approche des échéances électorales de novembre 2019. Le destin de Tunisair en reste pour le moment otage des politiques ignorante du gouvernement.